Une mademoiselle Mononoke au parc

Un récent article de David m’a rappelé l’existence de cette photo.

Juillet 2004, premier séjour au Japon et première journée à Kyoto. Sur mon Lonely Planet en anglais (pas encore de VF à l’époque) je lis en gros :

Kyoto Imperial Palace Park

Un parc et un palais impérial, je me dis que ça doit valoir le coup d’œil. Je quitte mon miteux guest house et, après une bonne demi-heure, non pas dans une fournaise mais dans une étuve, j’arrive en nage et les aisselles malodorantes au palais. À l’époque, c’était le prix à payer pour la moindre ballade, j’ai depuis appris à mieux affronter les étés japonais.

J’arrive donc au palais ou plutôt, à une interminable allée de graviers entourée d’arbres. J’imagine qu’au printemps ou en automne, l’endroit est charmant. Mais là, tout était pesant : le silence, la lourdeur de l’air et ce vert alentour, complètement plombé par une luminosité écrasante. Et tout cela pour se casser le nez puisque le palais était fermé ! Dépité, je m’assois sur le premier banc venu, le temps d’une pause avant de fuir cet endroit à l’ambiance mortifère. Accessoirement, je traite in petto mon Lonely Planet de guide de merde. Je m’en saisis d’ailleurs, histoire de voir ou plutôt de ne pas voir les infos lacunaires. Je ne tarde pas à remarquer cette phrase :

Visitors must obtain advance permission from the Imperial Household Agency.

Bon.

In ze babe.

Le séjour à Kyoyo commençait sur un pétard mouillé. Heureusement ce fut le seul, le reste enchaîna des plaisirs qui me firent sans mal oublier ce mauvais début ainsi que mes problèmes de sudation. Après la claque que fut la découverte de Tokyo et avant un séjour à Fukuoka où j’allais rencontrer une personne qui allait devenir intime pendant plusieurs années, je m’en serais voulu de n’avoir retiré de Kyoto qu’un sentiment d’inaccompli.

Ainsi, comme pour contredire l’impression maussade que commençait à me laisser l’ancienne capitale, je remarque à quelques mètres de moi une jeune femme. Bien que jolie, je ne l’avais pas remarquée sur le coup (normalement je remarque toujours les jolies filles), et pour cause : elle méditait. Elle avait posé son sac au pied d’un magnifique arbre et se tenait face à lui, les bras ballants et la tête légèrement penchée. Oubliés tout à coup la chaleur et ce vert des jardins en été qui habituellement me font fuir. Cette touche de violet en face d’un arbre aux reflets rougeâtres me fit instantanément voir Kyoto sous un nouvel angle. La scène dura cinq bonnes minutes. Durant la dernière, elle leva la tête ; concentrée ou extatique, je n’en sais rien. Je me suis demandé si elle n’allait pas finir par lui parler, à son arbre. Au lieu de cela, elle prit son sac, caressa quelques secondes le tronc du cèdre et partit.

Et moi aussi je partis, mais avec l’impression que ce voyage à Kyoto venait réellement de commencer.

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4 Commentaires

  1. C’est bien ce pays où on peut parler à un arbre sans passer pour un adepte de la cure détox à la décoction de fenouilles. Où une fille peut méditer sans pour autant être une femme à barbe ou une sainte-nitouche.
    Halleluya, voilà un pays où le christianisme a échoué.

    • Halleluya, voilà un pays où le christianisme a échoué.

      Pas totalement, il a totalement réussi dans le genre du roman porno avec des films comme le Couvent de la Bête sacrée ou les péchés de sœur Lucia. Je suis sûr que certains curés connaissent ces merveilles bien plus « profondément » que leur missel.

      J’évoque la chose car c’est non sans fierté que je me suis aperçu ce soir que les fins érotomanes qui tapaient « religieuses lubriques » sur Google tombaient directement sur un de mes articles. Le début de la gloire quoi!

      Plus sérieusement, cette proximité avec le recueillement, que l’on soit vieux ou jeune et sans être bigot, est effectivement quelque chose de beau et, d’une certaine manière, de rassurant.

  2. « religieuses lubriques », formule qui dénote un désir précis, mûri de longue date, réfréné en vain ! Sûr que ton blog saura réchauffer les draps de ces dévots aux glands gourds.

    Question cinéma : couvents et prisons pour femmes sont des usines à fantasmes. Mais les temples shinto ? Le roman porno a-t-il déjà labouré ces terres fertiles ? On y trouve tout pour ficeler un bon scénario. C’est pas les jeunes prêtresses qui diront le contraire. Toutes immaculées qu’elles sont.

  3. Excellentes photos comme à ton habitude… (il y aurait donc des hippies au Japon aussi…)

    Et LOL pour le texte et les commentaires.

    (sinon j’ai pas vraiment précisé dans mon récit qu’en fait je n’étais pas plus déçu que ça que le Palais ne soit pas ouvert: j’étais assez épuisé à ce moment de cette longue journée, et j’avais plus besoin d’un peu de vert et de calme qu’un autre lieu bourré de touristes)..

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