Bijins de la semaine (8) : Les (vraies) pêcheuses de perles d’Onjuku

Oui, les vraies pêcheuses et non pas leur alter ego cinématographiques qui ont sévi dans certains pinku, notamment dans les années 70 avec la série des ama senshu. Car ces films s’inspirent évidemment d’une véritable et intéressante catégorie socio-professionnelle : les ama, ces pêcheuses qui pratiquent la plongée pour aller récupérer des coquillages et, éventuellement, des perles.

Pourquoi pas des hommes ? L’explication que l’on donne est que pour supporter 60 à 80 plongées de deux minutes par jour, dans une eau pas forcément très chaude, le corps a intérêt à se protéger d’une couche de graisse et, à ce petit jeu, le corps des femmes est plus équipé. Autre question : pourquoi les seins nus? Tout simplement parce qu’avec aucun homme aux alentours, il n’y avait aucune honte à avoir. Inutile de dire que maintenant, les ama, toujours en activité, ne se montrent plus les tétons au vent. On imagine la masse de touristes frétillants, les voyeurs de tous poils se concentrer massivement chaque week-end dans la petite contrée d’Onjuku.

Je connaissais l’existence de ces femmes. En revanche, j’ignorais totalement ces photos réalisées par ce Yoshiyuki Iwase. Leur découverte m’a un poil estomaqué. D’abord par leurs qualités photographiques. Iwase (1904-2001) est en effet un photographe reconnu qui a collectionné tout le long de sa carrière les prix. Son oeuvre est dispersée dans de nombreuses collections à travers le Japon, la plus importante figurant Tokyo Metropilitan Museum of Photography.

Dans sa série sur les ama, la variété des points de vue, le classe des compositions sautent aux yeux  :

Tout d’abord cette jeune femme au premier plan. Pose gracieuse, buste admirablement et naturellement éclairé par la lumière du soleil. Puis il y a cette mise en situation, ces indications qui donnent une idée de l’identité de cette jeune femme aux seins nus. Manifestement ce n’est pas une starlette, comme en témoignent la présence derrière elle d’autres ama et le côté rocailleux du décor, pas forcément adapté pour le bain de soleil d’une pin up.  Enfin, dans le dernier tiers de l’image (tout la partie qui va de l’écume des vagues au ciel),  on a une idée des conditions de vie, ou plutôt de travail de ces femmes : vagues qui se fracassent contre les rochers, attitude observatrice (méfiante?) des femmes, nuages à l’horizon, contrastés, qui semblent répondre un poil négativement au contraste infiniment plus doux de la jeune femme au premier plan.

Il y a aussi dans quelques photos de cet « instant décisif » cher à Cartier Bresson :

Admirable arc de cercle ici qui semble faire sortir de la mer cette femme :

Moins spectaculaires, d’autres s’attachent aux moments de repos :

… ou aux moments de labeur :

On remarque sur cette dernière photo que toutes les amas ne sont pas dans leurs jeunes années. L’intérêt de ces photos est qu’elles ne se limitent pas à quelques pulpeuses pin up de carte postale (les plus jolies posaient volontiers pour Iwase et pour d’autres photographes qui venaient de Tokyo – voir les exemples plus bas) mais qu’elles nous montrent ce qu’étaient réellement ces ama : des femmes, simplement, avec des activités qui n’appartiennent qu’à elles:

Donc, « Bijins », avec un -s, pour cet article. Au-delà de la beauté individuelle de certaines de ces femmes, il y a une beauté globale qui est celle d’une époque révolue, d’un monde édenique qui m’a tout de suite fait penser à la scène d’ouverture de La Ligne Rouge de Terrence Malick.

Terminons avec une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne d’abord : pour ceux que le monde des ama intéresse, il existe un livre regroupant le travail d’Iwase sur les ama. La mauvaise, c’est qu’il douille un peu : 5985 yens (mais prix normal pour ce type d’ouvrage).

 

Lien pour marque-pages : Permaliens.

23 Commentaires

  1. Ton article est plaisant ! j’apprends, l’oeil plein d’attention et de plaisir.

  2. Excellent sujet, je ne peux qu’abonder sur la qualité des clichés d’Iwase. Il y a une surprenante fraicheur un peu surannée dans ses portraits d’Ama.

    Du coup, si tu aimes la photographie (il me semble), n’hésites pas à jeter un oeil sur le travail de Ueda, Hosoe, Moriyama ou encore Jun Abe ou Hiromi Tsuchida.

    Et un site à conserver dans tes favoris si ce n’est pas déjà fait:

    http://www.japanexposures.com/

    Ah oui, une question: Pourquoi Olrik ?

    Clarence, ex-chantre du colonel

    • Excellent ce site, je ne connaissais absolument pas. Il donne de précieux jalons sur la photographie japonaise contemporaine. Merci pour le tuyau.
      Quant à mon pseudo, maintenant que tu me poses la question, je me la pose aussi ! Je l’utilise très souvent lorsque je m’inscris sur des sites. Ce n’est qu’avant-hier que je me suis aperçu que je pouvais modifier mon précédent pseudo sur WordPress (Olrik était déjà utilisé par quelqu’un) : le grotesque et japonisant « oluriku ». Pourquoi cette fascination ? Il faut croire que la lecture des albums de Jacobs, quand j’étais gamin, m’a profondément marqué – et un méchant tel qu’Olrik est tellement plus classe qu’un Rastapopoulos ou un Zorglub (Monsieur Choc, dans Tif et Tondu, était pas mal non plus) – ! Finalement c’est un peu comme toi. J’imagine en effet que tu as dû voir pour la première fois Robocop, alors que tu étais encore en cours élémentaire ! Ça doit marquer son homme, hein ?
      Olrik.

  3. « Finalement c’est un peu comme toi. »

    Oui, et visiblement on partage plus que des goûts et des similarités. 😉

    Olrik est un personnage qui m’a marqué par sa sophistication et son éternel envie de nuisance mégalomaniaque.

    Simplement (et pour éviter toute confusion de la part de nos lecteurs), Olrik est également le pseudonyme que j’utilise sur des fora divers (
    Forum Japon ou secret-japan par exemple), avant que je ne choisisse d’opter définitivement pour Clarence.

    Comme quoi… 🙂

    Sinon pour Robocop et Verhoeven, j’ai su rester sage et attendre l’adolescence pour « apprécier » l’esprit « Bitches leave ! ».

    Clarence, la confession d’un voyou

    • Je comprends mieux le pourquoi de ta question. C’est amusant parce que c’est un pseudo que j’ai commencé à utiliser à peu près au même moment. Cela dit, c’est un peu gênant. Nos proses sont différentes, et quand j’utilise un avatar ce n’est jamais une image du colonel, mais cela n’est peut-être pas suffisant. Je vais voir ce que je peux faire…

  4. Oh, pas la peine de se prendre la tête non plus. 😉

    Prions simplement que les lecteurs aient un minimum de sagacité (mais au vu des mails que je reçois, c’est loin d’être gagné).

    En tout cas, je me suis amusé à parcourir ton blog hier, et ce fut un charmant voyage. Bravo !

    Clarence, alter-ego

  5. Il faut aussi citer comme référence le travail de Fosco Maraini, qui a même consacré un ouvrage à ces pêcheuses : « The Island Of The Fisherwowen ». Edité en 1960, on peut encore le trouver d’occasion. Ou encore :
    http://www.skandalopetra.com/forums/thread-view.asp?tid=232&posts=6&start=1

  6. Je ne le dirai jamais assez : n’hésitez à balancer vos sources, vos tuyaux ! C’est pas la clientèle cultivée qui manque ici, je le sens bien, mais voilà, il semblerait qu’il y ait aussi de grands timides.

    Un grand merci à toi Gould pour cette référence que je ne connaissais absolument pas. Et après une petite recherche au-delà de ton lien effectivement, le travail de Maraini a l’air assez admirable.
    null
    Un petit tour sur les sites d’occases s’impose on dirait.

    Olric, reconnaissant.

    PS : sympa ton tumblr. D’une part parce que tu as le bon goût d’y mettre des images que je connais bien ;), mais aussi parce qu’il y en a d’autres fort intéressantes.Juste une question : il n’y aurait pas la possibilité pour les photographies de noter dans un coin juste le nom des photographes ? Certaines m’ont tapé dans l’oeil et j’aimerais bien connaître qui est derrière elles.

  7. Pour les sources, il suffit de cliquer sur les photos j’ai pour la plupart mis un lien vers le photographe, sa bio ou son blog si contemporain. S’il n’y a pas de lien, c’est qu’il s’agit d’un blog d’un photographe amateur japonais. J’en ai pas mal en stock…

    J’ai noté que tu aimais Nicolas Bouvier, je te conseille de te trouver (encore possible sur amazon) le guide qu’il avait consacré au Japon, publié dans les années 70 en Suisse, une petite merveille.

  8. Pour ta galerie, j’ai remarqué mon erreur juste après mon précédent message.
    Sinon, pour Bouvier je pense que tu parles de son recueil de photos :
    null

    Je l’ai lu il y a un certain temps de cela et effectivement c’est un beau livre. Il faudra que je songe à me le procurer…

    • A nouveau intéressant, je ne connaissais pas non plus. Reste à savoir cependant si le contenu photographique se démarque de l’autre bouquin ou si c’est le même. Même chose pour les textes : reprise de ses chroniques japonaises ou textes à part ?

  9. Non différent. Je n’ai pas pris le temps de comparer les livres, mais à première vue les photos de ce guide sont pour la plupart inédites. Les textes aussi. Pour tout « fan » de Bouvier, c’est à mon avis indispensable.

    Je recommande aussi la lecture de Robert Guillain, ça n’a pas pris une ride, assez impertinent et une vision du Japon pas tout conventionnelle.

  10. Je note pour Bouvier.
    Sinon Guillain a pas mal pondu de livres sur le Japon. Lequel mérite vraiment le détour d’après toi ?

  11. « Aventure Japon » m’avait laissé un excellent souvenir. De mémoire la description de Tokyo après les bombes était très belle. Et il y a plein d’humour aussi. Un homme érudit mais qui ne se prenait pas trop au sérieux non plus.

    Bon évidemment, j’en profite pour caser l’incontournable livre qu’il faut avoir lu ‘L’Empire des Signes’ de Roland Barthes. Inégalable!

  12. « Aventure Japon » est très tentant, d’autant que son édition chez Arléa est assez jolie.

    Pour « l’Empire des Signes », je respire, voilà enfin une référence de ma connaissance. Livre incontournable en effet, il faudra bien que je me décide un jour de parler du père Barthes, entre un roman porno et une bijin en bikini ça devrait bien passer.

  13. J’ai lu Barthes et j’admire Meiko Kaji autant que Wakao Ayako. Alors, tout est possible…

  14. A nouveau merci pour l’info, à la fois pour l’article, très instructif, mais aussi pour le site qui recèle de petites choses pas inintéressantes.
    Sinon, sympa ta photo de Nakamura 😉

  15. Je l’avais vue, je l’avais vue ! Crois bien qu’elle est déjà sur mon disque dur. Un génie que ce Nakamura.

  16. Pour cette dernière photo, je n’ai pas réussi à en identifier l’auteur. Ça semble provenir d’une revue porno Japonaise des années 70…

  17. Oups ! Il est vrai que les deux styles sont très différents. En tout cas, si c’est une revue porno, j’aime son style. Le genre que j’achèterais sans rougir au moment de passer à la caisse.

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