La Vengeance est à moi (Shohei Imamura – 1979)

     Parmi tous les grands criminels qui ont ponctué l’histoire du cinéma, Iwao Enokizu gagnerait à être plus connu. Escroc et meurtrier, il est une sorte de génie du mal qui échappe à toute rationnalité. A l’image du titre de ce film d’ailleurs. « La Vengeance est à moi ». En commençant à regarder ce film, je m’attendais naïvement à une histoire de type « Monte Cristo ». Un homme, cruellement bafoué dans sa jeunesse par des hommes, cherche plus tard à se venger d’eux d’une manière non moins cruelle. Cette illusion, je ne l’ai pas gardée longtemps. Lorsque l’on assiste aux deux premiers meurtres d’Iwao (d’une surprenante sauvagerie), on croit encore que ces meurtres sont motivés, que les pauvres camionneurs qui tombent entre ses mains ont autrefois été des saloperies qui ont joué un mauvais tour à sa famille. Mais lorsque l’on voit le personnage prendre l’argent dans la veste de l’un d’eux (on peut encore penser qu’il le fait pour faire croire à la police à un crime crapuleux), puis le contempler chez lui d’un air satisfait, on commence à douter.

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     Tout le long du film, on va donc chercher, en vain, de trouver une réponse satisfaisante aux motivations criminelles qui animent Iwao. Ainsi cette scène, intervenant dans la première demi-heure du film, qui se passe sur une plage, pendant la guerre. Iwao est alors un gosse et est scandalisé par la démarche d’un militaire qui oblige le père d’Iwao de céder ses bateaux pour l’effort de guerre. Mais plus encore, il est choqué par son père qui cède devant le militaire. « C’est un lâche ! » confie-t-il plus tard à sa mère. Dès cet instant, cette rupture de l’autorité paternelle semble agir comme une cassure. Une voix off nous informe en effet qu’Iwao, dans les années qui ont suivi cet épisode, a connu la maison de correction puis la prison. Mauvaise graine, il n’a plus qu’à attendre les années avant de germer.

     Mais cette rupture avec l’image paternelle est-elle totalement satisfaisante ? On ne peut pas vraiment dire que cela suffise à satisfaire pleinement le spectateur. Disons qu’une soupape a lâché, mais que d’autres permettent encore de retenir dans les limites que lui imposent la société. Pour l’instant, Iwao n’est qu’un voyou, un fainéant qui ne mérite pas sa femme (interprétée par la sensuelle Mitsuko Baisho). Aussi, lorsque celle-ci semble céder à un désir trouble vis-à-vis de son beau-père, durant une scène d’un érotisme aussi sobre qu’élégant, on a du mal à la blamer. Reste que cette scène peut apparaître comme une nouvelle clé qui peut expliquer le basculement d’Iwao vers la folie. Revenant à la maison, après un nouveau passage à la case prison, il a tôt fait d’apprendre la relation entre elle et son père. Pour la deuxième fois, l’image de l’autorité paternelle, qui se permet ici de fricoter avec une femme qui pourrait être sa fille, en prend un coup. L’image du père et celle de l’épouse, de la mère (Iwao a deux enfants). Aussi, lorsque ces trois facettes symboliques de la famille volent en éclats, la dernière soupape n’a plus qu’à sauter.

    Plus précisément, on peut voir dans cette liaison malsaine (le père d’Iwao va jusqu’à proposer à un homme de lui faire l’amour parce qu’il a l’impression qu’elle se sent seule) une sorte d’attaque par Imamura des apparences, sociales ou familiales, qui sont très importantes au Japon. En apparence, la famille Enokizu est exemplaire (le père, en bon citoyen docile, n’a-t-il pas participé autrefois à l’effort de guerre ?). Mais si l’on creuse, que l’on ôte le vernis, on s’aperçoit par exemple que le père pelote sa brue dans le onsen de son auberge. Dès lors, c’est peut-être là que l’on peut trouver une explication à la cavale meurtière d’Iwao qui va suivre. Peut-être y a-t-il vengeance par rapport à son père (qui doit subir les informations des médias concernant les sinistres exploits de son fils) mais aussi par rapport à une société dont le vernis peine à cacher les bassesses de l’âme humaine. Comme par plaisanterie, Iwao va d’ailleurs utiliser ce vernis pour capturer ses proies. Tour à tour professeur respectable, avocat ayant fait ses études à Tokyo, il utilise pleinement son apparence rassurante pour tuer et escroquer.

     Néanmoins, lorsque l’on se rapproche de la fin, je dois dire que je me suis demandé si c’était vraiment la bonne explication. Et si Iwao n’était finalement qu’une mauvaise graine génétiquement vouée à faire le mal ? Et si cette histoire de vernis social n’était qu’une illusion ? Iwao semble en fait échapper, et nous revenons au point de départ de cet article, à tout rationnalité. Et sur ce point, la scène finale est au moins sans ambiguité. Je ne la révélerai pas car c’est une réelle surprise. Imamura peut parfois être capable de franchir la limite qui protège son récit du fantastique. C’est le deuxième cas dans le film et le plus saisissant. Jusque dans sa mort (ici je ne gâche pas le plaisir car la mort par pendaison du personnage est un fait acquis dès le début du film), Iwao échappe à toute logique, sa raison d’être étant hors de ce monde.

Trois exemples des thèmes évoqués dans cet article :

La violence (Iwao dans la première scène de meurtre) :

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Les apparences (Iwao avec sa panoplie d’avocat respectable s’apprêtant à soutirer 100000 yensà deux grosses naïves):

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La face cachée des apparences (ici la femme d’Iwao et son beau-père) :

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La Vengeance est à moi a largement été édité en DVD. On trouve ce film choc d’Imamura en France grâce aux éditions MK2.

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